PARIS : Branle-le-bas de combat sectoriel en bourse après les banques centrales
L’Humeur du Vendredi de Véronique Riches-Flores.
Cela ressemble au bon vieux temps, celui d’un appétit -apparemment sans limite- pour le risque qui entraîne dans son sillage les cycliques, les valeurs technologiques et, plus encore, les cryptomonnaies. Preuve s’il en est que les banques centrales n’ont pas fait le job de normalisation des conditions monétaires dont elles ont la charge, le mouvement semble bel et bien parti pour durer quelques semaines. Car si ces dernières reconnaissent collectivement qu’elles n’ont pas fini le travail, elles brouillent suffisamment les cartes pour laisser penser qu’elles pourraient lâcher leur établi sous peu. La crainte d’être mises en défaut par une baisse accélérée de l’inflation alors que les perspectives de résultats refluent partout rapidement explique, peut-être, ce retournement. Un tel changement de posture ne laisse, assurément, pas de questionner pour la suite. Mais la suite, c’est après et, pour l’instant, les marchés répondent d’autant plus vite au son du canon que beaucoup ont été trop timorés pour monter dans le train du mois de décembre. FOMO revient au galop. Cela ne devrait durer qu’un temps mais pourrait être d’autant plus spectaculaire que les excès de liquidités sont aveuglants.
D’un rallye désordonné à un élan généralisé
Les marchés n’ont pas attendu les communications des banques centrales de cette semaine pour prendre leur élan. Mais, si la distribution, les bancaires et, dans une moindre mesure, les valeurs technologiques, tiraient déjà bien la cote depuis le début de l’année, le manque de conviction à l’égard des secteurs les plus emblématiques des reprises cycliques, au tout premier rang desquelles l’industrie, l’automobile ou les ressources de base, freinait le mouvement. Les banques centrales semblent avoir débloqué la situation et l’ensemble du marché prend, de facto, une allure plus cohérente. Au-delà du rebond spectaculaire de l’immobilier européen dans la journée de jeudi (+6,5 %), l’automobile s’est adjugée une performance de 4,5 %, autant que les valeurs technologiques. Les biens et services industriels suivent la tendance à distance et, dans leur sillage, les ressources de base.
Après le désordre de ces dernières semaines le marché semble se mettre en état de marche pour une reprise coordonnée, dont même les défensives pourraient être en mesure de profiter.
Le regain d’appétit pour le risque sur les marchés américains n’y est pas pour rien. Les indices outre-Atlantique n’avaient pas bonne mine jusqu’à récemment et retenaient bien des investisseurs du reste du monde à s’engager. J. Powell a fait le nécessaire pour leur redonner de l’appétit. Comme en Europe à l’automne, les indices américains sont parvenus à s’extirper de la tendance dépressive dans laquelle ils ont évolué tout au long de l’année dernière. Et comme dans ce premier cas, avec quelques semaines de décalage, ils disposent d’un contexte technique nettement plus engageant depuis le début janvier, après que la publication des chiffres d’inflation en zone euro le 6 janvier soit venue valider les espoirs d’une inflexion du resserrement monétaire.
L’appel du risque
Dans de telles conditions, à juste titre ou non, l’histoire le dira, les quelques semaines qui nous séparent des nouvelles possiblement plus désagréables ont tout lieu d’être mises à profit par les investisseurs. Le fort repli des taux d’intérêt, la chute programmée de l’inflation et l’élimination des risques de récession imminente sont largement suffisants, en effet, pour faire le travail, dans un environnement encore largement permissif.
De fait, les taux de liquidités caracolent toujours à des niveaux stratosphériques aux Etats-Unis et en zone euro et, contrairement aux indications données par J. Powell, les conditions financières ne se sont pas tendues mais tout l’inverse aux Etats-Unis et, plus récemment en Europe dans le sillage du repli des taux longs.
Si le président de la FED a, certaines fois, pu donner l’impression qu’il puisait son inspiration auprès de son prédécesseur du début des années quatre-vingt, Paul Volker, ces derniers mois, force est de constater que le résultat de sa politique en est bien éloigné. Après être très brièvement repassé au-dessus de zéro cet été, l’indicateur de conditions financières de la Fed de Chicago est retombé en territoire négatif avec le repli des taux longs de ces trois derniers mois et plus récemment celui du dollar.
Les conditions sont, de ce seul fait, incontestablement favorables à un regain d’appétit pour le risque des investisseurs tant que leurs espoirs de reprise de la croissance ne sont pas mis à mal.
Un rallye, pour l’instant, dans le vide. D’où pourraient venir les supports nécessaires à sa durée ?
Que les conditions financières soient au rendez-vous pour alimenter l’optimisme des marchés financiers est une chose. Nul ne peut, d’ailleurs, exclure que ce mouvement se propage, un temps, à l’immobilier face à l’effet d’aubaine que peut représenter le repli des taux d’intérêt alors que l’inflation structurelle est, aux yeux de bon nombre d’observateurs, là pour durer… L’ensemble ne constitue pas, cependant, un socle fondamental suffisant pour justifier une remontée des valorisations tant que les perspectives économiques ne se dégagent pas. Or, il manque sur ce front encore de nombreux éléments pour échafauder des perspectives définitivement plus encourageantes pour les actifs à risque.
• La correction spectaculaire des marchés de taux de ces dernières semaines ne s’est pas accompagnée, d’ailleurs, d’une repentification des courbes de taux, à ce stade. Il faudrait pour cela que les taux à deux ans refluent nettement plus que jusqu’alors, ce qui n’est guère compatible avec un scénario de résilience de la croissance plébiscité par les marchés, ou que les taux longs remontent et défassent une partie du travail de ces deux derniers mois, ce que le espoirs de reflux important de l’inflation retiennent.
Les messages renvoyés par les courbes de taux restent donc éminemment récessifs et le risque si cela venait à ne plus être le cas, serait de renouer avec un durcissement des conditions financières.
• Il faut dire que les perspectives de résultats des entreprises ont du plomb dans l’aile, ce qui n’a probablement pas été neutre dans l’inflexion du discours de la FED et de la BCE.
Or, même avec une inflation réduite, il faudrait une amélioration significative de la croissance de la demande pour que cette tendance s’inverse. Les indicateurs avancés des profits des entreprises n’ont pas le vent en poupe tandis que la réduction de l’inflation, favorable à la baisse des coûts, est aussi synonyme de confiscation de l’effet monétaire de la hausse des profits 2022, quand les entreprises bénéficiaient d’un pricing power encore protégé par les effets du rattrapage post-covid. Enfin, le rythme de créations d’emploi dépasse largement celui de la croissance, ce qui finira par poser problème.
Les résultats des entreprises risquent, au total, d’être beaucoup moins favorables qu’ils ne l’ont été en 2022, face à des multiples de valorisation encore très élevés.
Si la situation sur ce dernier point est plus attractive en Europe, les marchés ont déjà pris une longueur d’avance sur les perspectives de résultats et finiront par être plus exigeants après avoir pris plus de risques.
• Les espoirs de reprise durable sur le front de l’activité restent, par ailleurs, pour le moins fragile. Outre la bouffée d’oxygène occasionnée par le reflux de la facture énergétique, les éléments d’une reprise d’envergure à l’échelle internationale ne sont pas au rendez-vous. En Chine, la publication des PMI a bel et bien souligné le rebond de l’activité domestique consécutif à la levée des restrictions sanitaires. Celui-ci, comme ce fut le cas dans d’autres pays à de telles occasions, a néanmoins surtout profité au secteur des services, peu influent sur le reste du monde. Les indicateurs industriels ont de leur côté, tout juste frémi tandis que les nouvelles en provenance de l’immobilier restent éminemment déprimées au vu de l’accélération à la baisse des transactions, en dépit d’un léger sursaut de l’activité dans la construction.
Les cours mondiaux des matières premières ont subi le contrecoup de ces déceptions et les bourses chinoises et émergentes, qui suscitaient un intérêt grandissant ces dernières semaines, en ont été pour leurs frais. Plutôt bienvenue, puisqu’elle retarde le risque d’une nouvelle embardée des cours des matières premières associé à une réouverture de la Chine, cette configuration n’en reste pas moins bancale d’un point de vue des marchés financiers. Sans impulsion d’importance de la Chine, les chances de reprise d’envergure de l’économie mondiale risquent fort d’être reconsidérées et, avec elles, celles des perspectives de résultats, des cycliques européennes en tout premier lieu.
L’ensemble, on l’aura compris, n’est pas suffisant pour envisager un rebond durable du marché, lequel pourrait rapidement buter sur d’importantes résistances d’ici au printemps ou à l’été. En l’absence de signes plus convaincants de reprise mondiale, lesquels pourraient s’accompagner sans tarder de craintes renouvelées sur les perspectives d’inflation, seul un opportunisme de circonstance permet, à ce stade, d’envisager une stratégie temporairement plus offensive d’exposition au risque.
Les banques centrales n’ont pas fini leur travail. Leur complaisance offre des opportunités que les investisseurs ne peuvent ignorer mais qui doivent être mises en perspective de ce que cela signifie en termes de risque d’être rattrapé par un nouveau cycle de hausse des taux d’intérêt.