PARIS : Commémoration du 25ème anniversaire de l’assassinat du préfet Claude Erignac
Le discours du Ministre de l’Intérieur et des Outre-mer à l’occasion de la commémoration du 25ème anniversaire de l’assassinat du préfet Claude Erignac, pronocé à Ajaccio, le 6 février 2023.
Servir. Au premier rang. A découvert. Au milieu des passions. Ces mots ont été choisis pour raconter Claude ERIGNAC, pour dire ce qui l’animait, pour exprimer ce que signifiait pour lui » être préfet « . Mesdames et Messieurs, l’étymologie de préfet, c’est celui qui ouvre la voie, être celui qui s’avance et être celui qui s’efface devant une cause bien plus grande que lui : la cause de la République, la cause de la France pour laquelle il a trouvé la mort. » Rien n’est précaire comme vivre – rien comme être n’est passager » comme disait Louis ARAGON. Oui, la vie d’un homme peut lui être ôtée en un instant. Mais ce qu’il a été demeure, ne passe pas, ne s’efface pas. Tant qu’il y aura des femmes et des hommes qui feront mémoire de sa vie. Tant qu’il y aura des femmes et des hommes assoiffés de paix, qui feront tout pour que son sacrifice ne soit pas vain. Tant qu’il y aura l’intérêt général comme guide des fonctionnaires de la République. Alors oui, Rien comme être n’est passager…
C’est pour cela que nous commémorons en ce jour l’assassinat de Claude ERIGNAC. Pour faire mémoire de l’homme mais surtout de la mission qu’il avait librement acceptée. Vingt-cinq ans après, c’est lui qui nous réunit au service de la paix. Certes, un quart de siècle s’est écoulé, tant de saisons, tant de marées. Et aujourd’hui, nous sommes là pour ça : les années terribles sont passées. Que reste-t-il ? Le souvenir des morts. Et des familles qui aspirent aujourd’hui à vivre, en paix, en Corse et partout en France.
***
Voilà la première promesse de la République : garantir la paix, la liberté, l’égalité et la fraternité. Et jusqu’à son dernier souffle, Claude ERIGNAC fut habité par cette promesse de la République. Et après lui, nous le sommes nous tous aussi, Mesdames et Messieurs les Maires, les élus, les fonctionnaires, nous qui avons choisi le service de l’autre.
Claude ERIGNAC était un homme de cœur et de conviction, un homme incandescent de l’esprit de service, lumineux, droit et intègre. Il incarnait une certaine idée du service public dont il ne s’est pas départi tout au long de sa vie tout en étant un mari aimant et un père attentif. En ce jour, en ce moment, je veux avoir une pensée respectueuse pour sa famille, son épouse Dominique et ses enfants, Christophine et Charles-Antoine, et je le sais : chaque Corse est sensible à cette douleur inextinguible, à cette douleur d’une famille meurtrie.
Claude ERIGNAC a aimé la Corse : il a aimé ses femmes, ses hommes, ce terroir inégalable et ses paysages magnifiques. Cet homme tourné vers les autres, pénétré de la conviction que chaque Français doit pouvoir trouver où qu’il habite, quelles que soient ses croyances et ses origines, des raisons d’espérer. Cet homme croyait profondément que l’Etat doit s’engager pour que chacun puisse, dès aujourd’hui, choisir son destin.
Claude ERIGNAC était un grand serviteur de l’Etat auquel il a donné toute sa vie – sa vie entière, sa vie professionnelle, sa vie familiale, sa affective. Et comme tous les membres de la préfectorale qui acceptent cet état singulier de n’habiter qu’un bref instant tant de » morceaux de France » différents, il savait que les fonctionnaires ne s’appartiennent plus au moment où ils s’engagent. Alors pourquoi s’engager ?
Comme chacun, Claude ERIGNAC s’est engagé parce qu’il était persuadé que seul l’Etat pouvait protéger chaque citoyen, l’aider à avoir la force d’affronter l’injustice et la violence. C’est parce qu’il avait sciemment choisi une vie au service de la France qu’il a trouvé la mort en ce funeste jour de février 1998.
Oui, il y a 25 ans, à cet endroit précis, le préfet Claude ERIGNAC était assassiné de trois balles tirées de sang froid dans la nuque et dans la tête.
Il y a 25 ans, l’Île de beauté était entachée du sang d’un homme de bien qui n’avait eu de cesse d’œuvrer à la paix et à la réconciliation.
Il y a 25 ans, un préfet de la République était tué dans l’exercice de ses fonctions, paroxysme sanglant d’une décennie de violences qui avaient endeuillé la Corse et donc, la France entière.
Mais ce pour quoi tu peux mourir, c’est de cela que tu peux vivre.
Voilà ce que nous enseigne la mort de Claude ERIGNAC.
Voilà son héritage pour les futures générations.
Comme tous les préfets, comme tous les sous-préfets, comme tous les policiers, comme tous les gendarmes, comme tous les pompiers, comme tous les soldats : endossant son uniforme, devenant plus que lui-même, il savait la mission qu’il avait acceptée par amour de son pays aujourd’hui. Sa personne est aujourd’hui indissociable de l’Histoire de France.
Il a donné sa vie. Et ce présent précieux nous a été confié pour que plus jamais la violence n’ait le dernier mot. C’est sans doute ce que voulaient dire les dizaines de milliers de Corses qui descendirent dans la rue quelques jours après. Il ne pouvait à la mort de Claude ERIGNAC n’y avoir qu’une seule issue, qu’un seul élan, qu’un seul cri : plus jamais ça ! Il y avait eu trop de drames en Corse, trop de morts, trop de familles qui pleurent – ceux qui étaient présents, galvanisés par le souvenir des morts et l’espérance des enfants, ont entendu ce cri. Et ce cri nous oblige à construire durablement la paix.
» Heureux les artisans de paix » dit l’évangéliste Matthieu. Oui, être artisan de paix, c’est une cause qui mérite qu’on y consacre sa vie, qu’on s’y attelle patiemment, avec humilité, sans jamais se lasser et par-delà tout ce qui nous divise et qui nous est rappelé chaque jour.
C’est pour la paix qu’en Corse, Monsieur le Préfet, Mesdames et Messieurs les agents de l’Etat vous poursuivez l’œuvre de concorde à laquelle Claude ERIGNAC s’était attelé pour établir la paix civile, consolidée par la lutte contre toutes les violences, contre tous les trafics, et approfondir l’identité culturelle de l’Île de Beauté.
C’est pour la cause de la paix que l’Etat et les élus locaux, Monsieur le Président du Conseil Exécutif, Mesdames et Messieurs les parlementaires, nous avons renoué le dialogue et vivifié ces derniers mois de nouveaux projets pour la Corse, pour les Corses – des projets institutionnels, économiques, environnementaux, culturels, éducatifs et sociaux.
C’est d’ailleurs parce que la paix est une condition du progrès qu’ont pu être entrepris, ces dernières années, des chantiers d’envergure pour tout le territoire et ses habitants.
A présent, « Il faut laisser la lumière estomper le contour des tombeaux » comme le dit Jérôme FERRARI. Aujourd’hui, le temps a fait son œuvre et une génération est passée. Si hier, l’assassinat du préfet ERIGNAC a plongé la France dans les ténèbres, 25 ans plus tard, nous devons faire collectivement le choix de la lumière et des infinies nuances qu’elle révèle de la réalité.
Nous le devons d’abord au sacrifice du préfet ERIGNAC qui croyait que l’Etat pouvait réellement contribuer à des conditions favorables pour que chacun trouve place et jouisse, comme le disait SIEYES, d’une » égalité d’espérer » un meilleur avenir pour ses enfants, quel que soit son âge, quel que soit son village.
Nous le devons à tous nos enfants qui n’étaient pas nés il y a 25 ans, qui n’ont pas connu cette obscurité. Ils ne peuvent pas déployer leurs ailes aujourd’hui s’ils sont tenus par le carcan du ressentiment.
Nous le devons à toutes les victimes de la violence qui tue et qui fait encore pleurer les mères et afflige la Nation toute entière à chaque fois qu’un crime est perpétré.
Je suis venu aujourd’hui à Ajaccio pour vous confirmer que c’est aussi la foi du Président de la République, celle de son gouvernement et que ce combat est notre combat. C’est pour cela qu’aux jeunes de Corse, nous voulons redire que nous travaillons pour eux. Qu’ils sont l’avenir. Qu’ils doivent pouvoir étudier à Toulon comme à Corte, à Marseille ou Barcelone. Leur dire que le gouvernement de la République que j’ai l’honneur de représenter ici se bat pour qu’ils puissent être soignés, se loger, vivre, travailler à Porto Vecchio comme à Saint Malo, à Paris comme à Ajaccio.
La Corse dans la France a une place toute singulière – mais elle a aussi une place dans notre modernité. On peut compter, ici plus qu’ailleurs, sur la force des liens familiaux, la première richesse de toute personne c’est la famille, le refuge en cas de coup dur. On sait faire vivre, en Corse plus qu’ailleurs, des traditions séculaires, comme les confréries de Corse, dont le nombre et la vitalité dit un peu de cette solidarité moins tangible dans nos villes. Et il n’est jusqu’à la beauté du littoral, particulièrement préservé, qui ne soit ici plus intense qu’ailleurs, arrachant des vers transis à Charles d’ORLEANS comme à Paul VALERY.
Il n’est pas un village ni même un buisson qui ne bruisse ici de la passion des grandes causes, des sentiments puissants, de l’amour de la liberté. Aux forces de l’obscurantisme fasciste comme aux tentatives d’asservissement étrangers, on a opposé ici plus qu’ailleurs les Lumières de Paoli et de Voltaire, et le serment de BASTIA. L’Île des Justes, » premier morceau de France libérée […] a démontré ce qu’étaient les sentiments et la volonté de la nation tout entière » disait le Général de Gaulle à Ajaccio en 1943. Entendons ces mots comme une invitation à unir nos volontés, dans un esprit de concorde et d’engagement inlassable pour le Bien commun. Au nom du gouvernement, c’est à mon tour d’appeler toutes les femmes et tous les hommes de bonne volonté à s’armer » du ceinturon de la vérité et de la cuirasse de la justice […] chaussés de l’ardeur à annoncer la paix. »
Il nous appartient d’écrire une nouvelle page. 25 ans après la mort du Préfet ERIGNAC il est temps d’inaugurer, ensemble, » le début de la suite « .
Oui, il est temps d’écrire une nouvelle page de l’histoire de la Corse. D’inscrire dans le marbre et dans l’avenir la paix, que chacun se sente infiniment respecté. Le gouvernement de la République y est prêt. Il vous attend. Fidèle au sacrifice du Préfet ERIGNAC, une nouvelle fois, il tend la main aux innombrables Corses de bonne volonté, épris de paix et de fraternité. Il vous propose de tracer ensemble la route institutionnelle, économique, culturelle qui permettra à la Corse d’embrasser le siècle qui vient avec l’amour et le soutien de la République. Il vous propose d’écouter la jeunesse qui veut vivre, s’amuser, étudier, travailler dans la plus belle Île du monde.
Il y a 25 ans le préfet ERIGNAC est mort alors qu’il essayait de construire la Corse de demain. Reprenons son exemple et son courage. Soyons fidèles à l’esprit de toutes ces femmes et de tous ces hommes valeureux, ces femmes et ces hommes d’honneur et de ténacité, capables d’embrasser un plus grand dessein qu’eux, se débarrassant des ressentiments, jetant la rancune à la rivière ; là, debout, face à l’Histoire qui nous attend. Cette nouvelle page de la Corse ne peut être écrite qu’avec les Corses eux-mêmes, avec leurs représentants et avec ceux, qui comme nous je l’espère, portent une certaine idée de la France. Oui, 25 ans après, le » plus jamais ça » des rues d’Ajaccio doit se transformer en » travaillons ensemble. » Mesdames et Messieurs les élus, les morts nous regardent.
Vive la Corse,
Vive la République,
Vive la France.