TOULON : Point de vue. L’esprit de revanche, carburant de la guerre en Ukraine ?
Je répète à l’envie depuis le 24 février que l’engagement militaire russe en Ukraine était inéluctable et que, pour le comprendre, il faut surtout s’intéresser à l’histoire.
L’examen scrupuleux de l’histoire nous permet en effet d’aboutir à un constat simple et implacable : La Russie issue de l’implosion du bloc soviétique en 1991 est devenue trente ans après une puissance méprisée, humiliée, encerclée et frustrée.
Une Russie méprisée et humiliée par la seule volonté impérialiste des Etats-Unis qui ont progressivement englobé les anciens pays satellites de l’ex Union soviétique dans l’OTAN. Une Russie encerclée par l’Alliance Atlantique qui a démultiplié sa présence militaire à portée des frontières russes. Une Russie, enfin, frustrée de n’avoir jamais été entendue quand son Président, Vladimir Poutine, inquiet des avancées de l’OTAN, évoquait les atteintes graves aux intérêts stratégiques de son pays et le besoin d’une nouvelle architecture de sécurité. Il y a évidemment d’autres causes pouvant expliquer la frustration, le sentiment d’injustice et la colère russe. Mais chacun sait que la frustration et l’humiliation libèrent, en réaction, un désir de revanche, d’agressivité et de fierté nationale. Ce désir de revanche russe s’est déjà manifesté par la violence armée et la volonté de conquêtes, notamment en Géorgie et en Crimée.
Il se poursuit aujourd’hui en Ukraine. L’histoire nous enseigne qu’il y a un autre modèle de frustration et de nationalisme exacerbé : celui de l’empire chinois.
La Chine a d’abord été victime de l’intrusion occidentale et de l’ingérence coloniale avec la honteuse guerre de l’Opium voulue en 1820 par l’Angleterre. A l’époque, l’Opium, exporté de force en Chine, fit des ravages au sein des élites des villes chinoises.
La Chine maltraitée subit une seconde attaque en 1858-1860 de la part des Anglo-Français, qui venaient de se faire les dents dans la guerre de Crimée contre la Russie. En Europe, seul Victor Hugo s’insurge contre ce qu’il estime être un abominable crime contre la civilisation. Ce » viol colonial » s’est ensuite accompagné de Traités très contraignants pour la Chine, en particulier celui qui légalisait le commerce de l’Opium, ainsi que ceux qui lui faisaient perdre des droits territoriaux, accentuant ainsi l’humiliation de tout le pays.
La Chine passe par la brutalité du statut de civilisation millénaire convaincue de sa supériorité à celui de pays sous tutelle. L’invasion japonaise, à partir de 1931, les problèmes intérieurs et la Seconde Guerre mondiale, finissent de ravager le pays.
La Chine se nourrit donc aujourd’hui d’un sentiment de revanche à l’égard des Occidentaux. Cela se traduit dans l’expansionnisme chinois en mer de Chine méridionale, dans l’extension de son » collier de perles » partout dans le monde, dans la captation de richesses et dans son essor économique. La Chine, atelier du monde, ouvre des aérodromes sur des îles, s’implante dans les ports, notamment à Djibouti et en Méditerranée. Le pays augmente également sa puissance militaire à une cadence qui a généré la panique les Etats-Unis, obsédés par la nécessité de la contenir. L’expansionnisme chinois a fait peur jusqu’à l’Australie, qui a soudain décidé de passer une commande de sous-marins d’attaque à propulsion nucléaire conçus à l’aide de technologies américaines et britanniques, deux pays avec qui elle a scellé une nouvelle alliance à l’été dernier. Cet expansionnisme a surpris toute l’Asie car la Chine n’a jamais été, dans son histoire, une puissance conquérante. Dans la conscience collective chinoise, il est donc important que la Chine redevienne ce qu’elle fut de 1300 à 1820, c’est-à-dire la première puissance économique du monde. En 1973, Alain Peyrefitte publiait un ouvrage intitulé « Quand la Chine s’éveillera … le monde tremblera », ouvrage dans lequel il prédisait le développement économique et politique de « l’Empire du milieu ». Son émergence politique et, surtout, économique actuelle lui donne raison. Sous les yeux de la Russie frustrée, et de Vladimir Poutine, gardien des intérêts vitaux du pays, la Chine prend donc aujourd’hui sa grande revanche sur les Occidentaux. Nous devons retenir que les équilibres de puissances ont été rompus en Europe par la très forte poussée de l’OTAN vers la Russie. En nous intéressant au temps long, celui de l’histoire, et en contextualisant, nous pouvons ainsi mieux comprendre le besoin actuel de puissance et de revanche de la Russie humiliée.
L’esprit de revanche est bien souvent le carburant principal de la guerre.